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Quel avenir pour les luttes écologiques ?

29 AVRIL 2025

Malgré une prise de conscience mondiale face au changement climatique, les enjeux écologiques semblent relégués à l’arrière-plan de l’agenda politique. Entre industrialisation forcenée, répression croissante et victoires locales, le politiste Damien Schrijen décrypte les nouvelles lignes de fracture des luttes environnementales.

Des politiques climatiques en recul

« On assiste à des attaques assez systématiques sur le droit environnemental ». Ainsi débute notre entretien avec Damien Schrijen, docteur en science politique, spécialiste des conflits écologiques contemporains. 

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Damien Schrijen, docteur en science politique

Alors que l’Accord de Paris, signé en 2015, semblait marquer un tournant décisif, les politiques climatiques piétinent. De nombreux dirigeants ont opéré un virage brutal : Donald Trump aux États-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil ou encore Andrzej Duda en Pologne. Les discours climatosceptiques se banalisent, y compris dans des sphères de pouvoir : « Quand on voit la manière dont les climatologues sont traités par l’administration Trump ou, plus largement, par certains courants réactionnaires, on peut se demander si le dialogue est encore possible », s’interroge le chercheur.

Pour lui, cette défiance s’infiltre dans la population : « Vous avez des gens en face qui vont vous dire que le changement climatique n’existe pas, que c’est un piège pour détruire notre mode de vie occidental ». En France, l’opinion reste polarisée :  79 % de ceux qui se classent « très à gauche » sont convaincus du changement climatique et de sa nature anthropique, contre seulement 49 % à droite. Malgré ces chiffres, le 25e baromètre de l’Ademe (agence de la transition écologique) rassure : “62 % des Français reconnaissent l’existence du changement climatique et son origine humaine”.

Des mobilisations citoyennes victorieuses

Face au recul des États, des mouvements citoyens émergent pour défendre leur territoire. Greenpeace, Extinction Rébellion, Les Soulèvements de la Terre… Autant de collectifs qui s’opposent à des projets jugés écocides, et qui parfois, gagnent.

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Deux militants à la fin de la manifestation contre la construction de l’autoroute A69. 08/06/2024. @ju_dcntz

C’est un de ces projets que Damien Schrijen a suivi. Pour sa thèse, il a étudié la lutte contre un projet d’extraction de sable en baie de Lannion, dans les Côtes-d’Armor, porté par une filiale du géant agro-industriel Roullier. Après des mois de mobilisation, le projet est abandonné, ce qui l’a amené à réfléchir sur le rapport de force que peuvent instaurer les personnes vivant sur le territoire et de quelles manières “les porteurs de projets ou les industriels qui les soutiennent essaient de tisser des liens avec des élus”. Une situation l’interpelle d’ailleurs, celle de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, s’était opposée à ce projet d’extraction. Mais deux ans plus tard, elle soutient la construction controversée de l’autoroute A69, pourtant dénoncée par 1 500 scientifiques dans une lettre ouverte au président de la République.

Jugée illégale en février 2025 pour absence de « nécessité impérative d’intérêt public majeur », le ministre des Transports Philippe Tabarot annonce en mars que l’État fait appel de la décision et demande un sursis pour la continuité des travaux : deux tiers du budget ont déjà été engagés. « On est de plus en plus dans une logique du fait accompli. On force les projets, et quand la justice intervient, les structures sont déjà là, donc on fait avec », déplore Damien Schrijen. Selon lui, les recours juridiques déposés par les associations environnementales sont rejetés dans la majorité des cas. L’annulation prononcée par la cour administrative de Bordeaux reste exceptionnelle. « Sur les politiques publiques, on est encore dans des processus très verticaux, où l’État s’arroge le monopole de la définition de l’intérêt général », conclut-il.

Une criminalisation croissante des luttes écologistes

Au-delà des procédures, les militants deviennent la cible d’un discours de plus en plus hostile. En mars 2023, lors de la mobilisation contre la méga-bassine de Sainte-Soline, l’ex ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qualifie les opposants d’« éco-terroristes ». En France, ce terme ne possède pourtant aucune existence juridique, contrairement à la notion d’“écologie terroriste”, qui renvoie, selon le Code pénal, à l’introduction d’“une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme, des animaux ou du milieu naturel”. Pour Damien Schrijen, ce glissement lexical n’est pas anodin : “Il s’agit de délégitimer toute expression politique qui s’exprime en dehors des cadres institutionnels.

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Les forces de l’ordre délogent les opposants à l’autoroute A69 sur un terrain privé au lendemain de la mobilisation. 22/10/2023 @ju_dcntz

Les formes de lutte ne cessent d’évoluer, et si certaines mobilisations sont marquées par des affrontements, d’autres restent strictement pacifiques. À Sainte-Soline, la Ligue des droits de l’Homme dénonce une stratégie répressive assumée : « L’objectif opérationnel poursuivi a été d’empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain. ». Pourtant, ses collègues observent une “tendance lourde vers une pacification des contestations », note Damien.

Alors que l’urgence écologique ne faiblit pas, l’État semblent osciller entre inertie et passage en force. Si les mobilisations citoyennes parviennent parfois à freiner des projets controversés, elles restent confrontées à une verticalité institutionnelle persistante, et à une criminalisation croissante. Plus que jamais, la définition de l’intérêt général est disputée. 

Juliette Ducornetz

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