L’ESS, c’est « le sens des autres », mais à quel prix ?
28 AVRIL 2025 | À l’occasion du lancement des programmes de l’Onde Porteuse en Île-de-France, émission spéciale sur les enjeux du moment dans le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire, diffusée depuis la maison de La France s’engage, qui abrite désormais les studios parisiens de l’Onde Porteuse.
Dans un contexte économique et politique perturbé, le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire est un pilier qui tient bon ! Mais alors que la baisse des financements publics inquiète de plus en plus les responsables associatifs et que le modèle de la subvention se trouve progressivement remis en question, portraits de trois acteurs de la solidarité, et état des lieux de leurs questionnements et de leurs revendications.

Contrairement à ce que pourraient laisser croire les récits médiatiques dominants en ce moment, les françaises et les français gardent « le sens des autres », explique Damien Baldin, directeur général de La France s’engage. Heureusement en effet, de très nombreux citoyens continuent à s’engager chaque année, à se mobiliser, à innover. Leurs actions permettent de couvrir le « dernier kilomètre » en matière de solidarité, que l’état ne pourrait pas prendre à sa charge. Mais très fragilisé en période de restriction budgétaire, le secteur de l’ESS subit des baisses de subventions parfois « aveugles », qui mettent en péril de nombreuses structures.
Trois portraits, trois plaidoyers
Alors quel avenir pour l’ESS ? Quelle vision ont les pouvoirs publics du fonctionnement et de l’utilité du secteur associatif ? Éléments de réponse à travers trois portraits de récents lauréats de La France s’engage… alors que d’ici quelques jours maintenant nous connaîtrons la promotion 2025 du concours national de la fondation.

On ne va pas nier les replis identitaires, le racisme, la xénophobie, qui existent bel et bien en France. Mais il y a aussi le souci de l’altruisme, de l’engagement. Il y a aussi l’importance du bénévolat, et du don. Il faut rappeler que chaque année, en dehors des taxes et des impôts, les français donnent 9 milliards d’euros à des associations et à des fondations !
Damien Baldin, directeur général de la fondation La France s’engage
Amandine Maraval est la directrice de LAO Pow’her à Bagnolet, qui a déjà accompagné plus de 700 jeunes femmes de 15 à 25 ans victimes de violences sexuelles en région parisienne. Depuis 2019, l’idée est de mettre en place un accompagnement spécifique, pour des besoins spécifiques. Et Amandine Maraval l’avoue : « on réfléchit à abaisser l’âge d’entrée dans nos dispositifs ». La moyenne d’âge à l’entrée dans la prostitution étant désormais évaluée « à 14 ans » !
« On s’adapte, on se suradapte ! »
Pour des publics extrêmement fragilisés, qui n’ont plus de repères ni de codes, le LAO Pow’her – où l’accueil est personnalisé et la décoration pensée avec et pour les jeunes femmes – est essentiel. Et pourtant, Amandine Maraval en témoigne, les tracasseries liées aux problèmes de budget, de financement, sont constantes.

On survit. Ça va globalement, mais c’est parce qu’on joue avec les risques. D’avoir à courir pour 10.000 euros par ci, 10.000 euros par là, ça devient quand même très compliqué !
Amandine Maraval, directrice de LAO Pow’her
Pour Anne-Sarah Kertudo, directrice de l’association Droit Pluriel qui assure un accompagnement de personnes en situation de handicap pour des parcours judiciaires vraiment gratuits et accessibles à tous, l’idée de travailler avec l’état est séduisante. Mais face à des menaces de plus en plus précises concernant le financement des actions de l’association, « on se tourne maintenant vers le secteur de l’entreprise ». Ouvrir la porte à des financements privés n’est bien sûr pas forcément une mauvaise chose, au contraire, mais Anne-Sarah Kertudo s’inquiète aussi de possibles dérives.
Des « courants extrémistes » à l’affût ?
Depuis quelques temps, « nous sommes contactés par des structures qu’on ne connaît pas et qui nous proposent des sommes conséquentes pour soutenir et financer nos actions. Quand on gratte, on se rend compte qu’il y a derrière des groupes aux motivations politiques extrémistes. C’est une forme d’entrisme brutal dans le secteur associatif. »

J’aime bien cette idée que nous, citoyens, société civile, on ne vient pas suppléer l’état, mais concourir ! Mais il faut nous donner les moyens. On passe trop de temps à demander des subventions, et à se justifier. Ce serait bien d’être secondés, plutôt que contrôlés.
Anne-Sarah Kertudo, directrice de Droit Pluriel
Également invité de cette émission spéciale, Julien Peyrache est le directeur de l’association Caracol, qui propose depuis 2018 des colocations interculturelles et solidaires pour fabriquer des lieux d’inclusion et de solidarité. Soutenue par La France s’engage, Caracol est en plein essaimage à travers la France, et fusionne parfois avec d’autres acteurs, pour maximiser son efficacité. Son action illustre bien l’importance des initiatives privées qui permettent plus souvent qu’on ne le croit d’initier de nouvelles politiques publiques.

Dans un contexte de crise du logement qui s’aggrave, on se bat à Caracol contre une forme d’impensé politique. On est à l’origine d’une coalition qui vient de provoquer le dépôt d’une proposition de loi contre le gaspillage immobilier. L’idée est par exemple de mesurer la vacance immobilière pour l’intégrer dans les plans locaux d’urbanisme.
Julien Peyrache, directeur de colocation Caracol
Le plaidoyer, marche vers une modification de la loi
Ce principe de modification et d’amélioration des politiques publiques à l’initiative du secteur privé est d’autant plus important que, Damien Baldin le rappelle, « les deux grandes conquêtes du XIXème et du XXème siècle que sont la sécurité sociale et l’éducation nationale ne sont pas tombées du ciel ! Elles ont été la généralisation de dispositifs privés issus d’initiatives locales portées par le monde associatif et par le monde de la mutuelle ».
Un argument de plus en faveur de la préservation d’un secteur de l’Économie Sociale et Solidaire fort et dynamique, libre et soutenu, d’autant plus dans le contexte socio-économique que nous connaissons.
Émission préparée et présentée par Capucine Frey et Benoît Bouscarel. Réalisation Francisque Brémont. Merci à Valérie Amant, pour l’aide à la préparation de cette émission.