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Technofascisme : le futur selon les ultra-riches

13 OCTOBRE 2025

Un futur où l’État devient un service, où les villes se transforment en start-up, et où quelques milliardaires rêvent d’éternité pendant que la démocratie s’éteint. La science-fiction se confond désormais avec la réalité, sous l’impact puissant mais discret des techno-fascistes.

En septembre 2025, Nastasia Hadadji et Olivier Tesquet publient “Apocalypse nerds”. A travers les grands mouvements et les grandes figures de ceux qui incarnent le ”technofascisme”, les deux journalistes nous plongent dans un présent apocalyptique où ceux qui possèdent le capital s’efforcent de faire de leur science fiction la réalité. 

Entre deux coupures internet et l’apparition de son chat, Olivier Tesquet accepte de partager son regard avec nous. 

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Olivier Tesquet Nastasia Hadadji, les auteur.e.s de l’essai « Apocalypse nerds ». Crédit : Teresa Suarez pour Divergences

Un fascisme 2.0

Nastasia Hadjadji et Olivier Tesquet choisissent de qualifier les protagonistes de cette apocalypse contemporaine de « techno-fascistes ». Un terme fort, souvent contesté, qu’Olivier justifie par la mutation politique en cours, notamment aux États-Unis où persistent, selon lui, « des invariants historiques du fascisme ». Il en identifie deux : « une révolution antimoderne portée par les outils de la modernité technologique » et « une volonté de régénération du corps national », soutenue par le retour du fait religieux qui prône « la purification ».

Ces deux invariants redessinent non seulement l’architecture du pouvoir, mais aussi la manière dont circulent les idées. Olivier Tesquet parle d’une “pensée en API” : un système qui, comme une interface de programmation, rend les idées transférables. « Les idées sont extraites de leur milieu d’origine et réutilisées dans un autre champ », précise-t-il. Ce qui importe aujourd’hui, c’est moins leur sens que la vitesse à laquelle elles se propagent.

De l’État-nation à l’État réseau 

Pour le co-auteur, “le technofascisme naît d’une excroissance de certaines mouvances libertariennes aux États-Unis”.

Dans les années 1990 apparaît un mouvement libertarien autoritaire, aussi appelé paléo-libertarien, qui conjugue l’ordre spontané du marché à une conception verticale du pouvoir. Inspiré par le philosophe et économiste Hans-Hermann Hoppe, souvent cité par les techno-fascistes, ce courant postule que pour arriver à l’idéal libertarien, une expulsion physique de tous ceux qui vivent des modes de vies alternatifs est obligatoire. Sa définition de ce qui est alternatif est vaste puisqu’elle englobe aussi bien les homosexuels que les communistes. L’entre soi remplace la défense des libertés individuelles du libertarianisme classique.

Selon les deux journalistes, ces autocrates de la technologie considèrent que « la technologie est plus fiable que les institutions« . En s’appuyant sur l’essai de l’économiste allemand Hoppe, « Démocratie, le dieu qui a échoué« , ils prônent une forme de césarisme moderne, où le pouvoir serait concentré entre les mains d’un CEO, un “monarque” version entrepreneuriale. Créant ainsi des “network state”, des États réseaux où les villes deviendraient des firmes administrées par des actionnaires plutôt que par des fonctionnaires, fantasmant une terre vierge de toute histoire pour y inscrire la leur. 

Faire la lumière là où elle gêne

En grec, l’apocalypse ou apokalupsis signifie la révélation. “La révélation d’une vérité qui permettrait de faire advenir un ordre nouveau” précise l’auteur. Le fait que notre modèle néolibéral arrive à épuisement est un constat largement partagé, mais tous n’en tire pas la même conclusion. 

Cette nouvelle vague de fascisme appelle au sécessionnisme pour s’affranchir de la politique, des institutions, du droit, notamment par l’implantation de nouvelles villes. Mais malgré leurs moyens financiers démesurés, bon nombre de projets finissent par être rattrapés par la réalité comme ce fut le cas pour les sea standings : des plateformes modulaires autonomes installées en eaux internationales qui étaient destinées à former des archipels de villes libres. Les quelques essais, comme au large de la Thaïlande ou en Polynésie, n’auront duré que quelques semaines, rapidement chassés par la justice locale et leurs habitants.

À la fin de leur essai, Nastasiaa Hadadji et Olivier Tesquet écrivent : “L’avenir ne nous appartient pas encore. Mais il n’est pas tout à fait à eux.” Face à ces apocalyptiques nerds, Olivier Tesquet invite à agir concrètement en jetant la lumière “partout où ils n’ont pas envie qu’on la jette.” Braquer la lumière sur leurs projets mortifère est donc la première pierre d’une organisation collective nécessaire.

Juliette Ducornetz

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